Louis Néel, un prix Nobel de Physique exceptionnel - Grenoble INP et la coopération avec le Viet Nam

Vietsciences-  Nguyễn Khắc Nhẫn        06/05/2011

 

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Louis Néel - Nobel Vật lý - một Giáo sư lý tưởng * Grenoble INP và sự hợp tác với Việt Nam

Louis Néel, prix Nobel de Physique 1970

En ce dixième anniversaire de la disparition de mon Maître, le Professeur Louis Néel, prix Nobel de Physique 1970, je voudrais, à travers ces quelques pages, lui rendre un vibrant hommage, en témoignage de ma grande admiration et de ma profonde gratitude.

Comme l'a bien souligné le Professeur Philippe Nozières du Collège de France, dans son intervention lors des manifestations du centenaire de la naissance de Louis Néel le 24 novembre 2004 à Grenoble: «On ne présente pas l'oeuvre d'un prix Nobel qui a marqué la science du 20e siècle.» Beaucoup de personnalités scientifiques ont déjà consacré de longs articles élogieux à ce savant exceptionnel.

Pour ma part, je vais tenter successivement de rappeler brièvement les réalisations les plus marquantes de Louis Néel dans les différents domaines de la recherche, de l'enseignement et de l'industrie. Je parlerai aussi de la Presqu'île scientifique de Grenoble et de la coopération de Grenoble INP avec le Viet Nam dont il fut le Père fondateur. Enfin, j'essaierai, avec beaucoup d'humilité, de dégager les quelques traits caractéristiques de la personnalité de l'Homme.

Louis Eugène Felix Néel, né le 22 novembre 1904 à Lyon, nous a quittés le 17 novembre 2000 à Brive-La-Gaillarde, à l'âge de 96 ans, après une carrière consacrée entièrement à la recherche, à l'enseignement et à son oeuvre de bâtisseur

Recherche : CNRS - CEA - IPG

Jeune élève du Lycée de Privas (Ardèche) où il se plaisait beaucoup, Louis Néel remporta un 5è accessit au Concours général de physique.

Après les classes préparatoires au Lycée du Parc à Lyon, puis au Lycée Saint- Louis à Paris, il est admis, à 20 ans, à l'Ecole Normale Supérieure dont il sortira major à l'agrégation de physique.

En 1932, lorsqu'il soutient sa thèse de doctorat en sciences physiques à l'Université de Strasbourg (sous la direction de Pierre Weiss, inventeur de la théorie du champ moléculaire, à l'origine du ferromagnétisme), Louis Néel est déjà mûr pour la découverte de l'antiferromagnétisme en proposant une nouvelle compréhension des propriétés magnétiques de certains corps.

Selon lui, le champ moléculaire est une entité locale et non globale, il est lié à l'agencement des atomes entre eux ; ce qui remet en question les idées de son directeur!

C'est seulement dans les années 50 que la diffraction magnétique des neutrons apporte la preuve de la validité des théories proposées dans sa thèse.

Grâce à lui, une nouvelle classe de matériaux magnétiques, avec des milliers de structures différentes et complexes, s'est révélée extrêmement riche. Les retombées directes de son oeuvre sont présentes aujourd'hui dans l'enregistrement magnétique ou le téléphone portable.

Les nombreux effets physiques dévoilés par ses travaux de recherche constituent les bases du nanomagnétisme et la toile de fond des technologies de demain aux applications multiples.

Il a su ouvrir la recherche sur le magnétisme à d'autres domaines de la physique du solide, des machines électrostatiques aux basses températures, ainsi qu'à des disciplines comme le nucléaire , la physique du globe.

Ayant su expliquer les inversions de champ magnétique terrestre observées par Emile Thellier, Louis Néel a contribué à la validation de la théorie de la tectonique des plaques de Xavier le Pichon.

Ce sont ses travaux fondamentaux et ses découvertes sur l'antiferromagnétisme (1936) et le ferrimagnétisme (1947) conduisant à des applications importantes en physique du solide qui ont valu à Louis Néel le prix Nobel de Physique en 1970.

De 1928 à 1939, Louis Néel effectua ses travaux de recherche au laboratoire du Professeur Pierre Weiss à la Faculté des Sciences de Strasbourg.

En 1940 la mobilisation l'obligea à rejoindre Clermont-Ferrand, lieu de repli aussi de cette Faculté. C'est lui qui fut chargé, avec Charles Sadron, d'effectuer un transfert audacieux de trois wagons de matériel lourd de laboratoires vers Meudon.

Pendant la 2e guerre mondiale, Louis Néel avec ses dons multiples, réalisa une oeuvre titanesque en un temps record et fut considéré , à juste titre, comme un héros de la Marine française. En effet, il réussit à neutraliser les mines magnétiques de l'ennemi. Comme le champ terrestre induit une polarisation magnétique de la coque du navire, détectée par les mines, il fait placer, en cale sèche, le navire dans une gigantesque bobine et par compensation des deux termes de la loi de Rayleigh, le champ créé va désaimanter celui de la coque. Aucun des 640 bateaux traités par ce procédé dans les rades de Toulon, Cherbourg, Le Havre, Dunkerque et Brest ne fut détruit ! De nombreuses vies ont été ainsi sauvées grâce à l'Amiral de réserve Louis Néel. A son tour, l'Amirauté anglaise adopta ce procédé simple et efficace sous le nom de «flashing».

Louis Néel apprécia particulièrement cette période au cours de laquelle ont germé ses découvertes ultérieures. Il réalisa alors à quel point les applications avaient permis de dynamiser la recherche fondamentale

Encouragé par son ami Félix Esclangon qui vantait la beauté de la capitale des Alpes, Louis Néel décida de s'installer définitivement en 1945 à Grenoble pour plusieurs raisons : des locaux vastes et disponibles (Institut Fourier en particulier) pour ses laboratoires mis à sa disposition par René Gosse, Doyen de la Faculté des Sciences et Directeur de l'Institut Polytechnique de Grenoble (IPG), un milieu industriel favorable à la coopération avec la recherche et l'université, une approche pluridisciplinaire possible, le charme naturel des rivières et montagnes...

En 1946, Louis Néel crée le Laboratoire d' Electrostatique et de Physique du Métal à Grenoble (LEPM), premier laboratoire CNRS en province, qu'il dirige jusqu'en 1970. Il obtient du CNRS que son Comité de direction soit mixte et paritaire, comprenant autant de délégués du CNRS que de professeurs d'Université. En 1948, Louis Néel généralise sa théorie de l'antiferromagnétisme en supposant les deux sous- réseaux magnétiques inégaux. C'est la théorie du ferrimagnétisme.

Par la suite, le LEPM se scinde en quatre laboratoires du CNRS, dont le laboratoire de Magnétisme, placé sous sa direction jusqu'à sa retraite en 1976. Celui-ci, comme les autres laboratoires CNRS du Polygone scientifique, fait partie maintenant de l'Institut Néel, crée en 2007. Avec ses 19 équipes de haut niveau et 350 publications annuelles, l'Institut Néel est mondialement connu.

C'est au sein de l'équipe Nanophysique et Semiconducteurs (NPSC) de cet Institut que mon ami Le Si Dang est devenu lauréat en 2010 du prix Gentner-Kastler. Ce prix décerné conjointement par la Société française de Physique et la Société allemande de Physique récompense de façon alternée des travaux réalisés dans les deux pays. Les contributions de Le Si Dang concernent l'étude des polaritons dans les semiconducteurs de basse dimension et la mise en évidence de leur condensation de Bose-Einstein, prédite en 1925 (c'est la manifestation spectaculaire de la dégénérescence quantique à l'échelle macroscopique).

Trois ans après le LEPM, Louis Néel crée en 1949, au sein de celui-ci, le Laboratoire de Magnétisme du Navire ( LMN ) qu'il dirige jusqu'en 1956. C'est ainsi que furent étudiés à Grenoble, sur le plan du magnétisme , la plupart des navires français conçus à partir des années 1950.

Avec l'accord de Yves Rocard, Louis Néel obtient en 1952 le transfert à Grenoble du Groupe de résonance magnétique de Michel Soutif de l'Ecole Normale Supérieure. La résonance magnétique constitue pour le LEPM un nouvel outil d'analyse des solides à l'échelle microscopique et une étape de croissance importante. D'après Louis Néel un grand laboratoire digne de ce nom ne doit manquer d'aucun des moyens disponibles dans le monde.

En 1955, Louis Néel avec l'appui de Francis Perrin, réussit l'exploit de décentraliser le CEA en créant le Centre d'Etudes Nucléaires de Grenoble (CENG) appelé aujourd'hui CEA Grenoble.

Au départ, son objectif est de conduire des études en physique du solide et magnétisme, en échanges thermiques par fluide liquide ou gazeux, en métallurgie et neutronique.

Malgré la vive concurrence de Toulouse pour l'installation de ce Centre, Grenoble l'a finalement emporté, grâce au prestige de Louis Néel et à la création simultanée au sein de l'IPG de la Section Genie Atomique que dirige avec autorité Michel Soutif. La présence dans la région Alpes - Dauphiné des grandes entreprises comme Merlin Gérin, Neyrpic, Sogréah, Ugine, Péchiney, Progyl et la SACM pèse aussi dans la décision.

Pour la construction du CENG, Louis Néel fait appel à des officiers et ingénieurs de la Marine en raison de leur compétence, de leur dynamisme et de leur efficacité. Il s'agit de Bernard Delapalme (un polytechnicien devenu son adjoint), Paul Roussillon, Guy Denielou, Michel Cordelle, Robert Gerbier, Henri Mondin et Hubert Dubedout (élu plus tard Maire de Grenoble).

Sous l'impulsion de Louis Néel, le CENG se développe rapidement avec la création de laboratoires mixtes CEA-Université, laquelle est représentée par un Professeur ou un Conseiller scientifique.

Parmi ces douze laboratoires, cinq sont consacrés à la physique fondamentale: diffraction neutronique, physique du solide, basses températures, résonance magnétique, accélérateurs. Ce sont des émanations directes du LEPM. Les autres laboratoires s'occupent de la physique nucléaire, des transferts thermiques, de la chimie du solide et de métallurgie, de chimie sous rayons, d'applications des radioéléments et d'électronique.

C'est Erwin Félix Lewy-Bertaut, doué d'une «intelligence pénétrante» (le mot est de Louis Néel) qui dirige ce laboratoire de diffraction neutronique du CENG, tout en étant directeur du laboratoire de cristallographie du CNRS. Avec René Pauthenet et F. Forrat, il a découvert une famille de ferrites magnétiques, les ferrites grenat d'importance capitale.

A la fin des années 50, les couches minces et les champs forts constituent deux nouveaux thèmes importants de recherche au LEPM. Louis Néel encourage et soutient René Pauthenet dans la création du Service National des Champs Intenses (SNCI), placé sous la direction de ce dernier en 1968 . C'est ici que Klaus Von Klitzing, physicien allemand, a découvert l'effet Hall quantique qui lui a valu le Prix Nobel de Physique en 1985.

En 1967, grâce aux progrès réalisés en techniques neutroniques, Louis Néel propose et obtient la création de l'Institut Laue Langevin (l'ILL). Ce réacteur à haut flux, financé par 11 pays dont les trois partenaires Allemagne France et Royaume-Uni, exploite la source de neutrons la plus intense au monde! Ces neutrons permettent aux scientifiques de percer les secrets de la matière de façon non destructive.

Louis Néel a également pesé de toute son autorité pour faire construire en 1985 à Grenoble l'European Synchrotron Radiation Facility (l'ESRF). Ce puissant outil de recherche complémentaire à l'ILL, financé par 18 pays, produit des faisceaux de rayons X «durs» extrêmement intenses, permettant à des milliers de chercheurs, venus du monde entier, de mieux comprendre l'organisation et les propriétés de la matière. L'ESRF a des utilisations variées dans plusieurs domaines : biologie, médecine, chimie, magnétisme, hautes pressions, sciences de matériaux, de surface, sans oublier les nombreuses applications industrielles.

Actuellement, au coeur du CEA Grenoble, le LETI (Laboratoire d'Electronique et des Technologies de l'Information) créé en 1967, avec un effectif de 1000 personnes et 500 collaborateurs extérieurs, est un laboratoire de réputation internationale dans le domaine des micro et nanotechnologies . Il fait partie de la puissante Association des Instituts Carnot (Ai Carnot) dont l'objectif est la recherche partenariale avec les acteurs socio-économiques.

L'Institut LETI ( Laurent Malier, Directeur et Marie-Noëlle Séméria, Directeur adjoint )

est aussi l'un des principaux instigateurs de MINATEC. Ses activités sont centrées sur la miniaturisation des technologies et leurs applications. Il a pour mission de générer de l'innovation et de la transférer à l'industrie.

Pour ne citer qu'un seul exemple, la maîtrise de la technologie des circuits intégrés a permis à l'Institut LETI de lancer des «start- up» comme SOITEC, créée en 1992 et spécialisée dans la fabrication des plaques de silicium sur isolant (SOI).

Au CEA Grenoble, un autre laboratoire connu, qui monte en puissance est le LITEN (Laboratoire d'Innovation pour les Technologies des Energies Nouvelles et les Nanomatériaux). Ses activités principales concernent l'énergie solaire et les bâtiments basse consommation d'énergie, les transports du futur (pile à combustible, hydrogène) et les nanomatériaux pour l'énergie. Avec un effectif de 550 ingénieurs et techniciens, l'Institut LITEN (Didier Marsacq, Directeur et R. Baccino , Directeur adjoint ) est le laboratoire du CEA qui dépose annuellement le plus grand nombre de brevets, sans oublier les 350 contrats de recherche partenariale. L'INES (Institut National de l'Energie Solaire) installé récemment au Bourget du Lac fait partie de l'Institut LITEN.

Depuis 2002, le CEA Grenoble procède au démantèlement des trois réacteurs expérimentaux et de recherche : Mélusine, Siloé et Siloette. Ces «piles» ont contribué efficacement à la formation des générations d'ingénieurs en génie atomique d'EDF dont je faisais partie.

La déconstruction en cours de ces trois réacteurs me renvoie aux Cérémonies de destruction des Mandalas de sable tibétain bâtis avec foi à l'Hotel de Ville ou à la Pagode Hoa Nghiem de Grenoble. Le sable colorié rejeté chaque fois dans l'Isère rappelle que tout est fragile et éphémère ici bas. Les hommes disparaissent, tout comme les ouvrages les mieux bétonnés !

En 2012 le CEA Grenoble sera totalement «dénucléarisé». Aujourd'hui ses quatre grands domaines de recherche concernent les micro et nanotechnologies, les nouvelles technologies de l'énergie, les biotechnologies et la recherche fondamentale.

A côté de l'ILL et de l'ESRF, le Polygone scientifique de Grenoble a accueilli récemment le Laboratoire Européen de Biologie Médicale (EMBL) qui fait partie d'un réseau de cinq Laboratoires implantés dans quatre pays (Allemagne, Italie, Royaume Uni et France). Les activités principales de ce réseau sont : la coopération entre Etats européens dans la recherche fondamentale, la mise au point d'une instrumentation moderne et le développement de l'enseignement approfondi en biologie médicale.

 

Enseignement : Facultés des Sciences – INPG ( devenu depuis 2008 Grenoble INP )

Louis Néel a commencé sa carrière d'enseignant à la Faculté des Sciences de Strasbourg comme Assistant (1928-1934), Maître de Conférences ( 1934-1937) puis Professeur (1937-1945).

A Grenoble, il est nommé Professeur à titre provisoire le 14 juillet 1945 (titre provisoire qu'il a gardé pendant 31 ans jusqu'à sa retraite !). Il a décliné le poste de Maître de conférence à l'Ecole Normale Supérieure. Par principe il refusait une nomination à Paris, préférant de loin la vie en province. Finalement, c'est Alfred Kastler, Nobel de Physique 1966 qui fut nommé.

Tout en formant des ingénieurs, il consacrait beaucoup de temps à préparer les étudiants de la Faculté des Sciences aux concours difficiles de l'agrégation. Pour lui, l'Université devait disposer non seulement des moyens humains et financiers suffisants pour mener à bien sa mission d'enseignement et de recherche, mais elle devait aussi s'ouvrir sur le monde et coopérer avec les entreprises.

Craignant une fuite de cerveaux vers Paris, Louis Néel a su convaincre et attirer à Grenoble une équipe de brillants et dynamiques professeurs et chercheurs, dont les plus jeunes d'entre eux, sont arrivés à l'INPG après sa retraite: Félix Esclangon, Louis Weil, Noël Félici, Maurice Fallot, André Castex, Jean Claude Barbier, Jean Kuntzman, Emile Pillet, René Fortrat, Pierre Brissonneau, Louis Lliboutry, Maurice Buyle- Bodin, Yves Ayant, Antoine Craya, Julien Kravtchenko, Lucien Santon, Jean Benoit, Lucien Andrieux, Erwin Félix Lewy-Bertaut, Bernard Dreyfus, René Pauthenet, Michel Poloujadoff, Daniel Dautreppe, René Moreau, Philippe Traynard, Daniel Bloch, Georges Lespinard, Maurice Renaud, Yves Brunet, Paul Jacquet, Jacques Mossière, Guy Mazare, Robert Perret, Georges Kamarinos, Max Verdone, Gérard Veillon, Gérard Cognet, Jean-Michel Grésillon, Germain Chartier, Pierre Hicter, René Perret, Jean-Pierre Longequeue, Louis Bolliet, Robert Barjon, Jean-Claude Poignet, Maurice Bouvard, Michel Baribaud, Christian Voillot, Bernard Guérin, Roger Moret, Philippe Masset, Jean-Claude Sabonnadière, Bernard Descottes-Genon, Christian Masselot, Jean-Louis Kueny, Marcel Ivanès, Serge Tichkiewich, Claude Gaubert, Charles Deportes, Yves Fautrelle, Felix Darve, Arlette Chéruy, Yves Bréchet, Claire Schlenker, Jean-Marc Dolmazon, Jean-Pierre Rognon, Michel Dang, Olivier Métais, Frédéric Wurtz, Anne Guérin-Dugué, René Feuillet, Nguyen Trieu Dong, Daniel Roye, Seddik Bacha, Gérard Meunier, Christian Commault, Jean-Louis Coulomb,Tran Quoc Tuan, Nouredine Hadjsaid, Jean-Marie Flaus, Eric Zamaï...

Que le lecteur veuille bien me pardonner pour cette longue liste non exhaustive que j'évoque avec reconnaissance et amitié car plusieurs de ces personnalités m'ont connu comme élève- ingénieur ou collègue. Beaucoup d'entre eux ont été les professeurs ou directeurs de thèses de mes compatriotes.

En 1954, Louis Néel devient Directeur de l'IPG en remplacement de Félix Esclangon, nommé Professeur à la Sorbonne. Il crée successivement des Sections Spéciales ou Ecoles: Génie atomique, Mathématiques appliquées, Automatique, Génie Physique.

En liaison étroite avec Léopold Escande et Marcel Roubault, ses collègues de Toulouse et de Nancy, membres comme lui de l'Académie des Sciences, il intervient directement auprès de Olivier Guichard, Ministre de l'Education Nationale et obtient la création en 1970 des trois Instituts Nationaux Polytechniques de Grenoble, Toulouse et Nancy. Louis Néel fut le premier Président de l'INPG jusqu'en 1976. Il a su imposer rapidement le regroupement au sein de l'INPG, de l'Ecole Nationale Supérieure d'Electrochimie et d'Electrométallurgie (ENSEEG), l'Ecole Nationale Supérieure d'Electronique et de Radioélectricité (ENSERG) et l'Ecole Nationale Supérieure d'Informatique et de Mathématiques Appliquées (ENSIMAG). Cette dernière Ecole, placée sous la direction de Jean Kuntzmann de 1971 à 1975, qui est une Ecole d'application pour les élèves de l'Ecole Polytechnique, a absorbé depuis peu le département Télécommunications.

Conscient de la nécessité d'une approche pluridisciplinaire pour le rayonnement universitaire de Grenoble, Louis Néel encourage l'INPG à coopérer, non seulement avec l'industrie, mais avec les autres Universités, le CEA et le CNRS, malgré des relations parfois conflictuelles.

Puisque nous sommes au coeur de l'enseignement, avant de parler de l'industrie, permettez-moi de saluer respectueusement ici la mémoire de trois autres célèbres Professeurs français qui nous ont quittés récemment. Nous verrons qu'ils ont, quelque part, certains points communs avec le Professeur Louis Néel.

Pierre-Gilles de Gennes (Nobel de Physique 1991)

Il s'agit de Pierre-Gilles de Gennes (Nobel de Physique 1991), de Georges Charpak (Nobel de Physique 1992) et de Maurice Allais (Nobel d'Economie 1988).

 

Georges Charpak (Nobel de Physique 1992)

 

Maurice Allais (Nobel d'Economie 1988)

Pierre-Gilles de Gennes qui a passé son enfance à Villard de Lans ( située à 30 km de Grenoble ) et qui n'était pas d'accord avec la politique américaine concernant la guerre du Viet Nam, m'a annoncé, lors de sa conférence à la Chambre de Commerce de Grenoble, qu'il allait faire un voyage dans mon pays natal, étant attiré par l'art de l'Extrême Orient. Notre ami commun, Tran Dang Nghi, ancien Professeur de français à l'Institut Polytechnique de Hanoi, s'apprêtait à l'accueillir lorsque la bien triste nouvelle de sa disparition est tombée.

Comment ne pas regretter ce Professeur hors normes, qui, à l'instar de Georges Charpak, voulait transmettre aux jeunes sa passion pour les sciences. Considérant que l'enseignement de celles-ci est trop formel en France, il consacrait beaucoup de son temps à visiter des dizaines de collèges et lycées pour expliquer sa démarche.

Anticonformiste, partisan de l'interdisciplinarité et sensible aux applications industrielles comme Louis Néel, Pierre-Gilles de Gennes réfléchissait beaucoup au rôle social du scientifique et affirmait que le savant détient une compétence technique mais pas de sagesse particulière.

Je n'ai pas eu le privilège, comme mon frère Nguyen Khac Ung, de connaître Georges Charpak qui l'avait impressionné par son esprit novateur et humaniste. Passionné et courageux comme Louis Néel, Georges Charpak avait honoré de sa présence la Conférence Internationale «Neutral Currents Twenty Years Later» que présida mon frère du 6 au 9 juillet 1993 à l'Ecole Polytechnique de Paris. Tous deux avaient travaillé au CERN de Genève dans le domaine de la physique des particules de haute énergie.

Je suis particulièrement intéressé par le programme «La main à la pâte» de Georges Charpak, lancé en 2006 en France avec Pierre Léna et Yves Quéré. Adoptée par plusieurs pays dans le monde, sa démarche pédagogique intelligente et efficace, fondée sur l'expérimentation pour rénover l'enseignement des sciences à l'école primaire, mérite l'attention des enseignants en physique du Viet Nam. J'ai admiré son autre engagement pour le désarmement nucléaire dans le monde.

Comme le Professeur japonais Masatoshi Koshiba (Nobel de Physique 2002), Pierre-Gilles de Gennes était dès le départ contre le projet ITER (International Thermonucléar Expérimental Réactor). Peu de temps avant sa disparition, Georges Charpak, en compagnie de deux autres Professeurs Jacques Treiner et Sébastien Balibar, a demandé l'arrêt de la construction du réacteur de fusion ITER dont le triplement du coût prévisionnel de 5 à 15 milliards d'euros leur est insupportable. Je fais aussi partie de ceux qui sont contre ce gaspillage des fonds publics pour un gigantesque chantier sans perspective d'avenir. L'argent serait mieux utilisé dans le secteur des énergies renouvelables.

La formule de Rabelais «Science sans conscience n'est que ruine de l'âme» résonne ici comme un appel aux savants. Il nous appartient d'exploiter les résultats de leurs travaux avec intelligence et discernement, en tenant compte de la rentabilité des projets, de l'impact sur l'environnement et sur le climat, de l'utilité et de l'adhésion sociales. La science ne résoudra jamais tous les problèmes économiques et sociaux de l'homme, ne l'oublions pas.

Malgré leurs conseils et avertissements, les Prix Nobel d'Economie n'ont jamais réussi ni à prévenir ni à arrêter les crises financières et monétaires.

Maurice Allais, Professeur à l'Ecole des Mines de Paris, brillant polytechnicien, économiste libéral et socialiste, est l'un de ceux qui voulurent apporter la rigueur mathématique à la science économique. Selon le Professeur Assar Lindbeck, Président du Comité Nobel d'Economie, «Maurice Allais est un géant en matière d'analyse économique fondamentale; on l'a longtemps négligé!». Il a été ignoré par les médias en raison de ses thèses à l'encontre de la doctrine libérale. Sa disparition en octobre 2010 coïncide avec cette période de crise qui valide ses prédictions. Maurice Allais a toujours dénoncé la libéralisation totale du commerce international. Pour lui, la mondialisation est la cause de la perte d'emplois et de la chute de la croissance; je partage entièrement son point de vue. Comme Louis Néel, Maurice Allais aurait dû recevoir le Prix Nobel plus tôt.

Pour la rédaction de mon cours sur la théorie du «taux d'actualisation a » destiné à mes élèves de l'ENSIEG, en plus des publications de Marcel Boiteux, j'avais consulté les remarquables polycopiés de Maurice Allais, offerts par mon frère, ancien Professeur de physique nucléaire à l'Ecole des Mines. Je regrette que ce taux « a » soit si peu utilisé dans les calculs économiques au Viet Nam.

 

Industrie : SECEMAEU – SAMES – AIR LIQUIDE

Fort de ses expériences réussies avec la Marine, Louis Néel adopte une démarche intellectuelle très pragmatique vis à vis des entreprises. Ses interlocuteurs admirent le comportement d'un théoricien phénoménologiste qui prend en compte les questions de rentabilité et de débouché.

Dès 1941, Louis Néel signe un accord avec René Perrin, Directeur de la Société d'Electrochimie, d'Electrométallurgie et des Aciéries Electriques d'Ugine (SECEMAEU). En 1942, un brevet est pris pour la fabrication des aimants permanents à base de poudres de fer. Une usine pilote d'Ugine est installée dans la région grenobloise, à Fontaine, puis une autre plus grande aux Eaux Claires.

Il y eut des échanges fructueux entre connaissances scientifiques sur les propriétés magnétiques des ferroalliages et compétence industrielle en métallurgie des poudres.

Les travaux de Louis Néel et Louis Weil ont permis à la France de rattraper le retard dans le domaine des aimants tout en évitant l'usage des matériaux stratégiques comme le nickel ou le cobalt. Les Aciéries d' Ugine ont pu exploiter leur procédé durant sept ans.

A partir de 1943, Noël Félici abandonne les travaux sur les couches minces et se lance dans les machines électrostatiques. La première prise de brevets date de fin 1944. EDF et le CNRS comptent parmi ses clients célèbres. Georges Truffaut, PDG des Etablissements et Laboratoires Truffaut demande aussi à Louis Néel de lui fournir des machines électrostatiques capables d'alimenter des poudreuses agricoles. Les machines électrostatiques prennent rapidement de l'ampleur au sein du LEPM. Louis Néel et Noël Félici, en accord avec les industriels et avec l'appui décisif de la Compagnie Générale d'Electricité (CGE), décident alors de créer en décembre 1946 la Société Anonyme de Machines Electrostatiques (SAMES) chargée de transférer les machines électrostatiques du laboratoire à la réalisation industrielle. Au début, cette «Start-up» s'installe dans les locaux même de l'IPG pour profiter de son atelier central.

Louis Weil signe un contrat avec l'Air Liquide au début de 1956 puis crée la Société d'Etudes et de Construction d'Appareillages pour Très Basses Températures (TBT). Les liquéfacteurs se vendent bien et TBT produit également des instruments de mesure à très basses températures. L'Air Liquide rachète TBT et en 1961 prend la décision de créer à Sassenage, banlieue de Grenoble., un Centre Technique des Applications des Basses Températures. Des centaines d'ingénieurs et techniciens travaillent ici sur les supraconducteurs, la propulsion des fusées, la congélation des tissus vivants …

Successeur de Félix Esclangon comme Directeur du Laboratoire des Essais Mecaniques (LEM) créé par Louis Barbillion, alors Directeur de l'IPG, Louis Néel profite de ce poste privilégié pour nouer des contacts intéressants avec les industriels de la région. Ces liens sont renforcés grâce à la «Société des Amis du LEM» créée en 1929 et qui rassemble des cimentiers (Vicat), des métallurgistes, des chimistes (Kuhlmann, Progyl), des entreprises de mécanique et d'hydraulique, des papetiers. Cette Société a permis à Louis Néel d'approfondir ses relations avec un allié d'envergure pour le développement économique de Grenoble, Paul-Louis Merlin (PDG de Merlin Gérin).

En 1958, la Société des Amis du LEM s'est ouverte à tous les laboratoires de l'Université et sous la présidence de Paul-Louis Merlin, l'Association pour le Développement de la Recherche (ADR) auprès de l'Université de Grenoble fut créée avec mission de fournir à l'Université une infrastructure pour la gestion et l'exécution des contrats avec les industriels. La plupart des Universités françaises ont progressivement suivi l'exemple de Grenoble.

 

Du Polygone à la Presqu'île Scientifique

A Grenoble, bientôt on ne parlera plus de Polygone scientifique mais de la Presqu'île scientifique.

Selon Jean Therme, Directeur du CEA Grenoble, Directeur de la Recherche Technologique et Directeur Délégué aux Energies Alternatives du CEA, Grenoble doit se doter d'un «MIT à la française» capable de rivaliser avec les grands pôles technologiques mondiaux.

En s'inspirant de la démarche de Louis Néel qui fut l'architecte du bassin scientifique grenoblois, et forts de ses réalisations, les huit institutions universitaires et de recherche CEA, CNRS, EMBL, ILL, ESRF, Université Joseph Fourier, Grenoble INP, Grenoble Ecole de Management ont conçu dès 2006 le projet GIANT (Grenoble Innovation for Advanced New Technologies) dont le Directeur délégué est Stéphane Sieberg.

L'objectif des fondateurs est de créer six centres d'excellence cohérents (en décloisonnant les activités) pour répondre aux enjeux sociétaux majeurs que sont l'information et la communication , l'énergie et la santé, tout en améliorant la visibilité et l'attrait au niveau international. En plus des trois centres d'excellence transversaux, il y aura trois centres d'excellence technologique de recherche appliquée dont MINATEC. La création de deux autres centres GreEn (Energie) et NanoBio (santé) est en cours.

Inauguré en 2006, MINATEC est le premier centre européen et le troisième au niveau mondial dans le domaine des micro et nanotechchnologies. Il abrite le pôle de compétitivité MINALOGIC. Dès l'origine le projet MINATEC rencontre une opposition locale et nationale qui dénonce le danger sur l'environnement et les libertés individuelles.

GIANT a l'ambition de devenir un site pilote pour le développement durable. Avec l'appui des autorités nationales, régionales et locales et les conseils du célèbre architecte Claude Vasconi, les partenaires de GIANT ont lancé un projet original de requalification et de transformation urbaine qui fera de la Presqu'île scientifique de Grenoble un site attrayant pour son excellence scientifique et sa qualité de vie.

A ma connaissance, les responsables politiques qui apportent leur soutien au projet GIANT sont: Jean-Jacques Queyranne (Président du Conseil Régional Rhône- Alpes), André Vallini (Président du Conseil Général de l'Isère), Didier Migaud puis Marc Baïetto et Geneviève Fioraso (Président et Vice-Présidente de la Communauté d'Agglomération Grenoble Alpes – Métropôle), Michel Destot et Jérôme Safar (Maire de Grenoble et 1er Adjoint au Maire ).

Ce projet qui associe les Universités, les Grandes Ecoles, la Recherche et les Entreprises en vue de consolider les infrastructures scientifiques grenobloises, nécessite un investissement d'environ 1,5 milliard d'euros étalé sur 15 à 20 ans.

L'autre élément majeur est le projet Grenoble Université de l'Innovation qui regroupe toutes les Universités de la Capitale des Alpes avec un effectif de 60.000 etudiants (15% de la population de l'agglomération grenobloise). Retenu dans le Plan Campus du gouvernement pour renforcer les principaux pôles universitaires, ce projet se verra doté d'un financement très important.

La Presqu'île Scientifique couvrant 250 hectares, située au nord-ouest de Grenoble, au confluent de l'Isère et du Drac, prolongera le centre-ville de Grenoble.( La présidence du Comité de pilotage, chargé du développement de cette Presqu'île Scientifique est assurée par Geneviève Fioraso, députée de l'Isère). Le domaine universitaire de Saint- Martin d'Hères, conçu par le Doyen Louis Weil au début des années 60, est seulement à quelques kilomètres de distance.

L'ILL, l'ESFR, l'EMBL mondialement connus, qui attirent plus de 10.000 scientifiques chaque année à Grenoble, ont uni leurs forces à celles de quatre autres célèbres Centres de recherche, dont le CERN de Genève, au sein d' EIROforum. Avec la création récente de l'EPN Science Campus (European Photon and Neutron Science Campus) ces Instituts européens vont jouer un rôle de tout premier plan dans le développement de la Presqu'île Scientifique et placent Grenoble au coeur de l'Espace Européen de Recherche.

Grâce à Minalogic (micro- nanotechnologies, intelligence logicielle embarquée), Tenerrdis (technologies énergies nouvelles et renouvelables), Lyonbiopôle (centre d'excellence Lyon Grenoble en diagnostic et vaccin) Grenoble obtient le label «Pôle de compétitivité».

 

Grenoble INP et la coopération avec le Viet Nam

Permettez-moi de rappeler ici un fait historique donnant naissance à la coopération entre l'Institut Polytechnique de Grenoble (IPG) et le Viet Nam dont le Père fondateur est justement le Professeur Louis Néel.

Fraîchement diplômé de Grenoble, j'ai été chargé en 1957, par le Ministre de l'Education nationale Nguyen Duong Don, qui m'a fait l'honneur de retenir mon projet, parmi tant d'autres, de créer et diriger l'Ecole Supérieure d'Electricité et le Centre National Technique de Phu Tho-Saigon (devenu Institut Polytechnique de Ho Chi Minh Ville). Ma proposition s'inspirait du programme pédagogique de l'Institut National des Sciences Appliquées de Lyon (INSA).

Dirigé par Le Si Ngac, le Centre National Technique regroupa au départ quatre Ecoles : l'Ecole Supérieure des Travaux publics (dirigée par Nguyen Chanh), l'Ecole des Arts industriels (dirigée par Van Dinh Vinh), l'Ecole de la Navigation maritime, (dirigée par Dang Van Chau) et l'Ecole Supérieure d'Electricité dont j'avais la responsabilité. Mon inexpérience a été heureusement compensée par le dévouement des Professeurs, l'enthousiasme des élèves, ma volonté de réussir et ma passion d'enseigner.

Dès le début, l'équipe d'enseignants de notre jeune Ecole d'Electricité rassemble une cinquantaine de professeurs et d'ingénieurs des Universités et Grandes Ecoles françaises dont une douzaine diplômés de Grenoble. Parmi ceux-ci figurent : Charles Regnault, Serge Colombo, mathématicien du CNRS, et René Benoit, docteur de la Faculté des Sciences. Deux hydrauliciens de l'IPG, Charles Gros, Directeur technique de Neyrpic et André Daubert, Directeur du Laboratoire de Chatou d'EDF, se sont aussi rendus à notre Ecole pour donner des conférences et faire part de leur expérience.

En avril 1961, lors de ma visite des Grandes Ecoles en France, suite à une invitation du Ministère français des Affaires étrangères, Louis Néel, Directeur de l'Institut Polytechnique de Grenoble a organisé une réception en mon honneur au Château de la Baume, maison d'hôtes du CENG. Etaient présents autour de la table : Maurice Fallot, Directeur Adjoint de l'IPG et Directeur de la Section Electrotechnique, Lucien Santon, Directeur de la Section Hydraulique, Jean Benoit, Directeur de la Section Radioélectricité et Emile Pillet, Professeur d'Electrotechnique. Au cours du déjeûner, en tant que Directeur de l'Ecole Supérieure d' Electricité et Directeur adjoint du Centre National Technique de Phu Tho-Saigon, je me suis levé pour remercier toute la Direction de l'IPG et lancer un solennel appel au Directeur Louis Néel en ces termes : «Dans le cadre des relations culturelles et techniques entre nos deux pays, je compte beaucoup sur votre compréhension et je crois sincèrement que l'Institut Polytechnique de Grenoble est tout indiqué pour nous apporter l'aide la plus précieuse et la plus efficace». Louis Néel et Maurice Fallot ont réagi très favorablement à ma demande de coopération.

C'est ainsi que dès 1962, le Professeur René Pauthenet, avec l'accord du Directeur Louis Néel, s'est rendu à notre Ecole de Saigon pour donner des cours de Lignes et Réseaux et également des conférences sur le magnétisme.

Lors de l'Exposition internationale de matériel et de documentation électrotechnique et électronique que nous avions organisée, à l'occasion de la sortie de la première promotion d'ingénieurs, on remarqua déjà l'importance de la contribution de l'IPG et des Entreprises grenobloises comme Sogréah, Neyrpic, Merlin Gérin.

Ce noyau de grenoblois cité plus haut, m'avait permis de constituer le Groupement de la Houille Blanche du Viet Nam . Lors de la réception en mon honneur à Paris le 24 Mai 1961, au siège de notre Association des Anciens élèves de Grenoble, j'avais remis à son Président un petit chèque représentant la modeste contribution des vietnamiens pour la construction de la Résidence de la Houille Blanche de Grenoble que préside avec dévouement depuis des années notre camarade Yonnel Balez.

En 1964, le Professeur Michel Poloujadoff était sur le point de venir renforcer notre corps enseignant au moment même où j'allais quitter mon pays natal, ne voulant pas assister à une guerre fratricide. Le conflit américano-vietnamien et mon retour en France ont interrompu nos relations privilégiées avec Grenoble.

En 1972, dans le cadre de la coopération Université-Industrie chère à Louis Néel, René Pauthenet, Directeur de l'ENSIEG (Ecole Nationale Supérieure d'Ingénieurs Electriciens de Grenoble) et Jean-Marie Martin, Directeur de l'IEPE (Institut d'Economie et Politique de l'Energie) , en accord avec Paul Biju Duval, Directeur d'EDF de Grenoble, ont demandé conjointement à la Direction Générale d'EDF de Paris (Marcel Boiteux et Albert Robin) et obtenu mon détachement à mi-temps comme enseignant-délégué d'EDF à l'Université. Ma nouvelle fonction a été grandement facilitée par l'esprit d'ouverture de chacune de ces institutions. La plupart des dirigeants ou collègues d'EDF (Marcel Boiteux, Jean Bergougnoux, François Ailleret, Albert Robin, Pierre Daurès, Roger Ginocchio, Lucien Gouni, Claude Destival, Hervé de Maublanc, Jacques Gallot, Fernand Lugiez, Paul Biju Duval, Jean Deroche, Daniel Pierrard, Marie-Claude Henry, Alain Prunier, Gilles Laturnus…) m'ont apporté leur précieux soutien.

C'est la visite à Grenoble en 1977 de Tran Tri, Directeur des Relations internationales du Comité d'Etat des Sciences et Techniques du Viet Nam qui donna le signal pour le rétablissement de la coopération. Comme l'INPG ne figurait pas dans le programme officiel de Tran Tri, invité par le CNRS, Roger Moret, Directeur de la Section Electrotechnique, en compagnie de Michel Poloujadoff, a bien voulu à ma demande, accueillir notre hôte à l'ENSIEG ce samedi après midi là . Au cours du dîner de travail (dans un restaurant de l'avenue Félix Viallet) qui suivit, des projets de coopération ont été abordés sérieusement. Michel Poloujadoff fut invité l'année suivante aux deux Instituts Polytechniques de Hanoi et de Ho Chi Minh Ville. Cette importante visite de Michel Poloujadoff a ouvert la voie à la reprise de la coopération.

En 1980, lors de ma première mission dans mon pays natal, auprès des trois Instituts Polytechniques et des trois Compagnies d'électricité (en vue de relancer la coopération avec EDF), le Professeur Philippe Traynard, Président de l'INPG, m'avait chargé de soumettre le projet de convention de coopération (préparé par Michel Poloujadoff et moi- même) au Ministre et au Vice-Ministre de l'Education nationale du Viet Nam (Nguyen Dinh Tu et Dang Huu).

Fin 1981, l'INPG demanda à quatre professeurs (Germain Chartier, Pierre Hicter, Jacques Percebois et Nguyen Khac Nhan) d'effectuer une mission d'enseignement et de recrutement dans les trois Instituts Polytechniques de Hanoi, Da Nang et Ho Chi Minh Ville, respectant ainsi les clauses de la convention de coopération qui allait être signée à l' ENSIEG, en mars 1982, par le Vice-Ministre de l'Education Hoàng Xuân Tùy et le nouveau Président de l'INPG, Daniel Bloch.

Cette convention prévoyait la venue chaque année :

- de 4 à 7 professeurs de l'INPG dans les trois Instituts Polytechniques de Hanoi, Da Nang et Ho Chi Minh Ville.

- de 15 boursiers vietnamiens de courte durée pour 1 an de perfectionnement pédagogique et de 10 boursiers pour une longue durée ( DEA + 3 ans de thèse de doctorat ) dans les 9 Ecoles de l'INPG

Ce programme, animé avec ma collaboration, par le Directeur des Relations internationales de l'INPG, Jean-Charles Pariaud, a nécessité un financement important du gouvernement français (bourses, billets d'avion...) et des moyens matériels et humains considérables de l'INPG. Etant souvent à ses côtés, j'ai été témoin du remarquable travail de chef d'orchestre fourni par le Professeur Jean-Charles Pariaud qui dirigeait en même temps l'ENSEEG. Sa précieuse contribution et son inlassable dévouement méritent notre vive reconnaissance.

Du côté vietnamien, le lancement du programme a été rendu possible grâce a la contribution efficace de :

Nguyen Ngoc Tran, Vice -Ministre et Tran Tri du Comité d'Etat des Sciences et Techniques,

Ha Hoc Trac et Nguyen Dinh Tri, Recteur et Vice-Recteur de l'Institut Polytechnique de Hanoi. Tran Dinh Long, Professeur de l'Institut Polytechnique de Hanoi.

Tran Hong Quan et Huynh Van Hoang, Recteur et Vice- Recteur de l'Institut Polytechnique de Ho Chi Minh Ville,

Phan Ky Phung, Recteur de l'Institut Polytechnique de Da Nang.

Selon le Professeur Daniel Bloch, dès le début, l'Institut polytechnique de Hanoi a parfaitement rempli son rôle de pilote parmi les trois Instituts polytechniques vietnamiens, contribuant ainsi au succès de notre programme de coopération, et ceci malgré les conditions économiques difficiles de l'époque.

La plupart des Présidents ( Louis Néel, Philippe Traynard, Daniel Bloch, Georges Lespinard, Maurice Renaud, Yves Brunet, Paul Jacquet ), Vice-Présidents de l'INPG, les Directeurs d'Ecoles et de très nombreux professeurs et chercheurs ont fait le déplacement au Viet Nam ( pour Jean-Marc Dolmazon: 22 voyages et Eric Zamaï: 23 voyages déjà au compteur!) dans le cadre de cette coopération, initiée par le Professeur Louis Néel au début des années 60.

Quelques centaines de docteurs, ingénieurs, chercheurs vietnamiens ayant fait des études ou stages de perfectionnement pédagogique à l'INPG rentrèrent progressivement au Viet Nam. La plupart d'entre eux ont renforcé le corps enseignant des trois Instituts polytechniques. Certains ont occupé ou occupent aujourd'hui des postes de responsabilité importante comme le montre la brève liste suivante :

Nguyen Minh Hien , ancien Ministre de l'Education nationale

Bui Van Ga , Vice-Ministre de l'Education nationale

Phan Thanh Binh , Président de l'Université Nationale du Viet Nam à Ho Chi Minh Ville

Nguyen Trong Giang , Directeur de l'Institut Polytechnique de Hanoi

Tran Van Top et Ha Duyen Tu, Directeurs adjoints de l'Institut Polytechnique de Hanoi

Vu Dinh Thanh, Directeur de l'Institut Polytechnique de Ho Chi Minh Ville

Le Kim Hung, Directeur de l'Institut Polytechnique de Da Nang.

Mais à l'opposé, on peut aussi regretter un gaspillage flagrant de talents et de compétences pour ceux qui ne trouvent toujours pas de postes correspondant à leur potentiel scientifique ou technique.

Vers la fin des années 80, plusieurs Universités et Grandes Ecoles françaises, à l'instar de l'INPG, souhaitent aussi apporter leur contribution à la formation de l'élite vietnamienne. Le saupoudrage des crédits n'étant pas raisonnable, en 1997 nos deux gouvernements prirent la décision de lancer le Programme de Formation des Ingénieurs d'Excellence au Viet Nam (PFIEV). Les partenaires français de ce programme sont: Grenoble INP, Centrale Paris, Ponts ParisTech, INSA Lyon, Mécanique et Aéronautique Poitiers, INP Toulouse, Telécom Bretagne et Lycée Louis-Le Grand Paris. Parmi les nombreux professeurs de Grenoble INP qui ont apporté leur concours à ce programme, Félix Darve et Jean-Marc Dolmazon ont joué un rôle prépondérant.

Les 12 filières d'enseignement technologique sont réparties sur les trois Instituts Polytechniques de Hanoi, Da Nang, Ho Chi Minh Ville et l'Ecole Supérieure de Génie Civil de Hanoi. La durée des études est de 5 ans après le baccalauréat et l'admission se fait après un concours très difficile. Dès 2004, le diplôme est reconnu par la Commission des Titres d'Ingénieurs de France. Depuis 1999 environ 1.000 ingénieurs répartis sur 6 promotions ont été diplômés.

Selon Eric Zamaï , chargé de mission Viet Nam à Grenoble INP «le PFIEV n'est pas une simple copie d'un système de formation à la française, il est conçu pour adapter le modèle hexagonal aux besoins et au contexte du Viet Nam et c'est là sans doute que réside la clé de sa réussite».

A partir de 2007, le Viet Nam prend en charge directement ce Programme qui bénéficie encore de l'appui des Grandes Ecoles citées ci-dessus et du soutien du Ministère français des Affaires Etrangères.

Sachez aussi que le Centre Multimédia Information Communication et Application (MICA), inauguré à Hanoi, par le Président Paul Jacquet, est le résultat d'une coopération tripartite: Grenoble INP, CNRS et Institut Polytechnique de Hanoi. Après quelques années de fonctionnement, ce Centre est devenu depuis 2006 une Unité Mixte Internationale (UMI). La direction de MICA est assurée par Pham Ngoc Yen et Eric Castelli.

En septembre 2007, Henri-Marc Michaud, Président du Directoire INPG Entreprise S.A, a organisé, en coopération avec la Chambre de Commerce et d'Industrie de Grenoble, un important Colloque INO Viet Nam à Hanoi et Ho Chi Minh Ville. Des dizaines de professeurs, chercheurs et industriels grenoblois ont participé à cette manifestation.

Sous l'impulsion de Jean Therme et de Jean-Charles Guibert, MINATEC et CEA – LETI ont également apporté leur aide à la formation de spécialistes vietnamiens en micro et nanotechnologies. Suite à la visite du Vice-Premier Ministre Pham Gia Khiem au CEA – LETI en octobre 2001, ce programme de coopération a pu être lancé rapidement.

J'ai eu l'occasion d'assister à la Cérémonie solennelle organisée le 23 juin 2010 au CEA Grenoble au cours de laquelle Phan Thanh Binh, Président de l'Université Nationale du Viet Nam à Ho Chi Minh Ville a remis le Diplôme de Docteur Honoris Causa à Paul Jacquet, Administrateur Général de Grenoble INP et à Jean Therme, Directeur du CEA Grenoble. Cette cérémonie témoigne de la volonté de part et d'autre de resserrer encore davantage les liens culturels et scientifiques déjà très forts entre nos deux pays.

Depuis plus de 20 ans les trois autres Universités de Grenoble ont aussi des programmes importants de coopération avec le Viet Nam.

Les missions à Hanoi et à Ho Chi Minh Ville de Daniel Bloch, ancien Président de l'Université Joseph Fourier ( Farid Ouabdesselam, Président ) et Jean-Michel Terriez, Directeur de l'IUT1, ont été déterminantes dans la création de nos IUT. L'Université Pierre-Mendès France ( Alain Spalanzani, Président ) a commencé la coopération avec l'IAE (lnstitut d'Administration des Entreprises) et l'IEPE. L'Université Stendhal (Lise Dumasy, Présidente) avec le CUEF (Centre Universitaire d'Etudes Françaises) a accueilli un nombre impressionnant d' étudiants ou chercheurs vietnamiens pour les aider à améliorer leur niveau linguistique. Concernant l'Ecole Supérieure de Commerce, j'ai eu l'occasion de présenter des pistes possibles de coopération avec le Directeur, Jean François Fiorina et les professeurs Philippe Le et Le Nhu Tuyen.

Toutes les Universités grenobloises ont participé à la formation des docteurs vietnamiens (une estimation sommaire donne le chiffre de 200 diplômés).

Pour les étudiants et thésards, j'ai aussi sollicité le concours pédagogique des Directeurs et Professeurs : Jean-Michel Terriez, Bernard Descottes-Genon, Jean-Paul Ferrieux (IUT1), Michel Albouy, Edwige Laforet, Hubert Drouvot (IAE), Anne- Marie Spalanzani (IUT2), Alain Spalanzani (IUP - Pierre-Mendès France), Claude Comiti (IUFM), Jean- Marie Martin, Jacques Percebois, Dominique Finon, Patrice Ramain, Patrick Criqui, Jacques Girod , Bernard Bourgeois, Bertrand Château, Bruno Lapillonne, Catherine Locatelli, Denise Cavard, Jean-Pierre Bonaiti (IEPE).

Actuellement le nombre d'étudiants vietnamiens à Grenoble s'élève à 300 environ (sur un effectif total en France avoisinant 7000) dont la plupart sont membres de la dynamique Association des Etudiants Vietnamiens de Grenoble (AEVG). Le Président pour 2010-2011 est Ngo Quoc Dung.

Compte tenu de mes relations tissées durant toute ma carrière tant au Viet Nam qu'en France, toujours avec une double casquette industrielle (Direction générale de l'Electricité-Ministère des travaux publics à Saigon – EDF à Paris et à Grenoble) et universitaire (ESE de Saigon - INPG et IEPE de Grenoble), je continue d'aider nos étudiants et chercheurs, sans distinction de couleur politique, avec pratiquement le même enthousiasme que par le passé. Le temps ne semble pas avoir prise sur le noyau de ma passion pour l'enseignement et la formation des jeunes de notre pays.

Jean-Claude Sabonnadière, Félix Darve, Jean-Marc Dolmazon, Tran Quoc Tuan, Nguyen Trieu Dong, Eric Zamai et Michel Dang (ancien Directeur de l'ESISAR ) ont également consacré, avec dévouement, beaucoup de temps à la coopération entre l'INPG et les trois Instituts polytechniques vietnamiens.

Je cite les noms en mesurant avec gratitude la précieuse contribution des professeurs et chercheurs de toutes les Grandes Ecoles et Universités grenobloises.

Le 20 novembre dernier, journée des maîtres au Viet Nam, l'Union des Etudiants Vietnamiens de France (UEVF) a organisé à Paris une conférence-débat avec le Professeur Ngo Bao Chau, lauréat de la Médaille Fields 2010, pour sa démonstration du lemme fondamental. Ayant le privilège d'être à son côté, à la table des intervenants, je lui ai annoncé que j'allais rédiger un article pour rendre hommage à l'oeuvre colossale de Louis Néel, mon ancien Professeur. Je lui ai suggéré, à l'instar de Louis Néel, de profiter de son prestige et de son talent pour proposer au gouvernement vietnamien la création de laboratoires et instruments de recherche puissants afin d'élever le niveau scientifique et technologique de notre pays. Avec un sourire timide et toujours modeste, il m'a glissé à l'oreille: doucement !

 

Le Bâtisseur : l'Homme – l'oeuvre scientifique

« L'homme n'est que la somme de ses actes » philosophait Jean-Paul Sartre et rien de grand n'a jamais été accompli sans enthousiasme.

Grand travailleur, passionné et dynamique, Louis Néel forçait le respect de ses étudiants par son immense savoir et sa grande pudeur. C'était un universitaire réservé mais chaleureux, humain mais non engagé, en retrait des problèmes politiques ou sociaux. Le premier contact avec Louis Néel ne fut certes pas nécessairement aisé, peut-être du fait de se retrouver face à un grand patron «nouveau style». Il prenait souvent seul des décisions non pas à la manière d'un mandarin mais plutôt d'un entrepreneur qui ne veut en aucun cas gaspiller son temps.

Fasciné par les pratiques technologiques, Louis Néel faisait l'admiration de ses collaborateurs par le choix judicieux des responsables et des thèmes de recherche. Très tôt, il eut des ambitions visionnaires et stratégiques pour Grenoble. Cet honnête homme de création et de coeur eut surtout le génie de suivre son intuition.

Scientifique pragmatique, Louis Néel adopta toujours une démarche intellectuelle originale, novatrice et non-conformiste, à l'écart des modes et de la publicité.

Dès sa thèse, en rupture avec les options de son directeur, Pierre Weiss, il traita les choses de façon phénoménologique tout en ignorant la mécanique quantique. Cette ignorance fut une force pour Louis Néel car cela lui a permis de court-circuiter une voie longue et d'emprunter des raccourcis. Sa manière de conceptualiser les phénomènes ferromagnétiques est d'une redoutable efficacité. Selon René Pauthenet qui a travaillé en 1958 au laboratoire d'IBM à Poughkeepsie, les connaissances en magnétisme des collègues américains n'étaient pas très approfondies mais ils utilisaient les théories quantiques des solides. C'est ainsi que dès le début des années 60, Louis Néel tenta de remédier à cette situation en invitant des théoriciens étrangers à son laboratoire dans le cadre des professeurs associés.

On se plaît à répéter sa phrase célèbre citée dans ses mémoires «Un siècle de physique»: «Je ne désirais pas rester à Grenoble pour en faire le marchepied d'une carrière parisienne mais bien avec l'intention de créer un centre de recherche suffisamment important pour en retenir les cadres» Il craignait une fuite de cerveaux vers Paris, en réalité il a réussi à inverser la tendance avec son réseau de nombreux et brillants normaliens.

Contacté par l'académicien Gustave Ribaud pour savoir s'il serait intéressé par une chaire de physique expérimentale au Collège de France, Louis Néel refusa catégoriquement, ne voulant pas abandonner son laboratoire en plein développement.

Dans un mémorandum, Louis Néel proposa de créer en France des laboratoires transdiciplinaires aux moyens humains et financiers puissants en combinant des recherches fondamentales, appliquées et industrielles. Il était opposé au saupoudrage et au concept des chaires d'Université avec des laboratoires petits et isolés.

Selon lui, l'Association pour le Développement de la Recherche (ADR) a permis de court-circuiter les agents comptables de l'Université, prisonniers des règles de comptabilité publique !

Personnellement, j'ai eu la chance d'avoir Louis Néel comme professeur de physique nucléaire en 3e année de l'Institut Polytechnique de Grenoble. J'avoue n'avoir pas toujours bien compris ce qu'il expliquait, tant il dominait par la pensée . Totalement concentré, on aurait dit qu'il réfléchissait en permanence, son regard rivé au plafond de l'amphithéâtre (Barbillion ou Doyen Gosse) dans un silence quasi religieux .

Comme avec mes amis Nguyen Van Dang et Do Dinh Chieu, le Professeur Louis Néel m'a fait l'honneur de présider mon jury de thèse de doctorat à la Faculté des Sciences de Grenoble, sans me poser de questions embarrassantes ! Nous évoquions souvent sa mémoire avec nostalgie et respect. J'ai senti que Louis Néel et Maurice Fallot avaient tous les deux une grande sympathie pour le peuple vietnamien. J'éprouve toujours un sentiment de tristesse chaque fois que je passe devant son appartement de l'Ile Verte à Grenoble, où Madame Néel et lui-même nous ont reçus, mon épouse et moi, avec une grande simplicité.

La renommée mondiale de Louis Néel était solidement établie bien longtemps avant son prix Nobel. Il a reçu un nombre impressionnant de décorations et les honneurs de plusieurs grands pays.

Voici un extrait de son discours de remerciement très sobre et modeste, au banquet de Stockholm le 10 décembre 1970: «Seules restaient incomprises les propriétés de la plus ancienne des substances magnétiques connues: la magnétite ou pierre d'aimant qui a attiré l'attention des curieux depuis 4000 ans. J'ai eu la chance de combler cette lacune et d'expliquer ces propriétés avec la notion de ferromagnétisme. Mais j'avais été précédé dans cette voie, au 13e siècle, par Pierre de Maricourt, auteur en 1269 du 1er traité sérieux sur les aimants. En matière scientifique, on a souvent des prédécesseurs beaucoup plus anciens qu'on ne le pense à priori.»

Puisque le Professeur Louis Néel nous plonge dans l'histoire, qu'il me soit permis d'évoquer ici la famille Nobel. En effet, le père d'Alfred Nobel, Immanuel Nobel, avait conçu des mines de la marine pour dissuader la marine royale britannique pendant la guerre de Crimée (1853-1856). Il s'agit de dispositifs simples de fûts en bois rempli de poudre à canon.

Alfred Nobel, passionnné par la chimie, habile entrepreneur et homme d'affaires, s'intéressait au départ à la nitroglycérine expérimentée avec différents additifs pour les travaux de construction. Par la suite, il s'était enrichi grâce à la production en masse de la dynamite (brevetée en 1867) et des détonateurs par des usines et laboratoires construits dans une vingtaine de pays.

Le Professeur Louis Néel, à l'époque où il a réussi à sauver de nombreuses vies, en neutralisant les mines magnétiques allemandes, ne pensait certainement pas aux mines et aux explosifs de la famille Nobel.

L'amie d'Alfred Nobel, la comtesse autrichienne Bertha von Suttner, connue pour son livre célèbre «Lay down your arms» contre la course aux armements, a dû influencer celui-ci lorsqu'il écrivit son dernier testament le 27 novembre 1895.

En 1945, après les bombes atomiques sur Hirochima et Nagasaki, Albert Einstein, dans un discours prononcé aux Etats- Unis, laisse supposer qu' Alfred Nobel a institué le Prix Nobel de la Paix pour soulager sa conscience. Florence Nightingale aurait été à l'origine de la Fondation de ce Prix en convaincant Alfred Nobel de réparer «le mal qu'il avait causé avec sa dynamite»

Les Prix Nobel de la Paix sont sélectionnés par un Comité norvégien; les autres Prix Nobel sont choisis par l'Académie royale suédoise. A cause du « politiquement correct », chaque année les Prix Nobel de la Paix provoquent une vive controverse.

Pour ne citer qu'un exemple, en 1973, ce Prix a été décerné à l'américain Henri Kissinger et au vietnamien Le Duc Tho pour les accords de paix de Paris, alors que la guerre faisait encore rage au Viet Nam. Seul Le Duc Tho refusa ce Prix.

Là où il se trouve, Albert Nobel doit être heureux de voir la birmane Aung San Suu Kyi (Nobel de la Paix 1991) enfin libérée mais certainement furieux de l'emprisonnement du chinois Liu Xiaobo (Nobel de la Paix 2010).

En cette période de fêtes de Noël, il est douloureux de constater que les guerres continuent à semer des souffrances et des deuils inutiles, malgré le Prix Nobel de la Paix attribué en 2009 au Président des Etats Unis, Barack Obama, sans oublier les appels, souvent renouvelés, à la tolérance et à la non violence du Dalaï Lama (Nobel de la Paix 1989) et du Pape. Faudrait-il décerner un jour des Prix Nobel de la guerre pour avoir la paix ?

Lors du Colloque «40 ans après le prix Nobel de Louis Néel» organisé à l'Hôtel de Ville de Grenoble, les 20 et 21 octobre 2010, en présence d' Albert Fert, Nobel de Physiqye 2007, le Député-Maire de Grenoble Michel Destot, dans son intervention en hommage à Louis Néel (le président de son jury de thèse) a rappelé qu'il y a en réalité trois Nobel grenoblois, Louis Néel et deux étrangers qui ont effectué leurs travaux de recherche à Grenoble. Il s'agit de Klaus Von Klitzing, physicien allemand, Nobel de Physique 1985 et Ada Yonath, chimiste israélienne, Nobel de Chimie en 2009. Michel Destot a tenu aussi à souligner l'apport important de Louis Néel dans la renommée mondiale de l'Université Joseph Fourier, l'une des toutes premières Universités françaises pour la physique.

Louis Néel a toujours été pour l'ouverture sur le monde et les échanges. C'est ainsi que sous son impulsion, bien avant l'implantation des instruments de recherche puissants, de très nombreux professeurs, chercheurs et étudiants étrangers sont venus se former à Grenoble. Malgré ses lourdes responsabilités, il accepta d'être nommé Docteur Honoris Causa de huit Universités étrangères tout en étant membre de huit Académies des Sciences parmi les plus prestigieuses . De 1963 à 1966, il a même trouvé le temps de présider l'Union Internationale de Physique Pure et Appliquée ( UIPPA ).

Il a su attirer les industriels par le dialogue ou le transfert des connaissances, valorisant ainsi les travaux scientifiques de son équipe par des applications, tout en communiquant aux chercheurs et professeurs le goût d'innover et d'entreprendre. Basée sur la pluridisciplinarité et l'ouverture, la stratégie de Louis Néel : Université- Recherche- Industrie s'est revélée remarquablement féconde.

Grâce a lui, la physique a mis sur orbite l'Université de Grenoble, une Université de province essentiellement marquée avant la 2e guerre mondiale, par les applications de l'électricité (la houille blanche d'Aristide Bergès), de l'électrochimie et de l'électrométallurgie.

Par son talent, son prestige, son esprit visionnaire d'entreprise, Louis Néel a réussi, avec passion, l'exploit d'assurer la mise en place et le développement extraordinaire du Pôle européen universitaire et scientifique de Grenoble tout en contribuant au développement économique de la Région du Dauphiné.

Auteur de 250 articles et brevets, Louis Néel est considéré après les Curie, Langevin et Weiss, non seulement comme l'un des plus brillants physiciens, Père du magnétisme, mais aussi comme l'un des plus grands bâtisseurs de l'enseignement supérieur et de la recherche français.

Enfin, d'après l'ancien Ministre de la Recherche Hubert Curien, en dehors de la physique, Louis Néel a été aussi un bon menuisier et un excellent cuisinier (le gratin dauphinois était sa spécialité), ce qui témoigne encore de l'étendue de ses capacités.

Grenoble, Noël 2010 – 25/1/2011

Nguyen Khac Nhan

Ancien Chargé de mission à la Direction Economie, Prospective et Stratégie d'EDF,

Ancien Professeur à l'Institut National Polytechnique et à l'Institut d'Economie et Politique de l’Energie de Grenoble.

 

Biographie

Louis Néel : carrière, oeuvres et distinction

 Carrière

1924 - 1928 : Elève à l’Ecole Normale Supérieure. Reçu premier à l’agrégation de physique

1928 - 1934 : Assistant à la Faculté des Sciences de Strasbourg. Docteur ès sciences physiques (1932)

1934 - 1937 : Maître de Conférences à la Faculté des Sciences de Strasbourg

1937 - 1945 : Professeur à la Faculté des Sciences de Strasbourg

1942 - 1953 : Directeur du Laboratoire des Essais Mécaniques de l’Institut Polytechnique de Grenoble

1945 - 1976 : Professeur à la Faculté des Sciences de Grenoble

1946 - 1970 : Directeur du Laboratoire d’Electrostatique et de Physique du Métal de Grenoble (CNRS)

1949 - 1956 : Directeur du Laboratoire de Magnétisme du Navire

1952 - 1976 : Conseiller Scientifique de la Marine Nationale

1971 - 1976 : Directeur du Laboratoire de Magnétisme de Grenoble (CNRS)

1954 - 1970 : Directeur de l’Institut Polytechnique de Grenoble et de L’Ecole Française de Papeterie

1955 - 1970 : Directeur du Centre d’Etudes Nucléaires de Grenoble

1970 - 1976 : Président de l’Institut National Polytechnique de Grenoble

1950 - 1975 : Membre du Comité Consultatif des Universités (interruption entre 1968 et 1971)

1950 - 1971 : Membre du Directoire, puis du Conseil d’administration du C. N. R. S.

1954 - 1957 : Membre du Conseil Supérieur de la Recherche Scientifique et du Progrès Technique

1954 - 1966 : Membre du Conseil de l’Enseignement Supérieur

1955 - 1966 : Président de la Commission de Physique du CNRS, Electronique, Electricité et Magnétisme

1956 - 1980 : Représentant de la France au Comité Scientifique de L’OTAN (interruption entre 1957 et 1960)

1957 - 1958 : Président de la Société Française de Physique

1963 - 1966 : Président de l’Union Internationale de Physique Pure et Appliquée

Membre de l’Académie des Sciences (Paris, 1953), de l’Académie Delphinale (1960), Membre Etranger de l’Académie des Sciences de l’URSS (1959), de l’Académie Royale Néerlandaise (1959), de la « Deutsche Akademie der Naturforsher Leopoldina » (1964), de l’Académie de la République Populaire Roumaine (1965), de la Société Royale (Londres, 1964), de l’Académie Américaine des Arts et Sciences (1966) et de l’Académie Polonaise des Sciences (1970). Belles Lettres et Arts de Lyon (1970).

Docteur Honoris Causa des Universités de Graz (1948), Nottingham (1951), Oxford (1958), Louvain (1965), Newcastle (1965), Coimbra (1966), Sherbrooke (1967), et de l’Institut Polytechnique de Iassy (1971). Diplôme Honorifique de l’Institut Polytechnique de Turin (1960).

 

Œuvres

Auteur d’environ 250 articles et brevets. Ses travaux scientifiques ont été reproduits dans l’ouvrage « Louis Néel, œuvres scientifiques », édition du CNRS, 1978. (édition anglaise « The selected works of Néel »). Bien que la plupart de ses articles aient été écrits en français, son rayonnement international a touché les scientifiques de plusieurs disciplines, mais aussi le grand public. Ses mémoires, « Un siècle de Physique », sont parues en 1991, aux Edition Odile Jacob, Paris.

 

Distinctions

Chevalier de la Légion d’Honneur à titre militaire pour services exceptionnels (1940), Officier (1951), Commandeur (1958), Grand Officier (1966) et Grand Croix (1974). Croix de Guerre avec Palmes, pour ses travaux sur la protection de la Flotte Française contre les mines magnétiques (1940).

Grand Croix de l’Ordre National du Mérite (1972) Commandeur de l’Ordre des Palmes Académiques (I957) Chevalier du Mérite Social (1963).

Prix Hughes de l’Académie des Sciences (1935), Prix Robin de la Société Française de Physique (1939), Médaille André Blondel (1948), Grand Prix du Conseil de l’Association « au service de la pensée française » (1949), Prix Holweck (1952), Prix des trois physiciens (1963), Médaille d’Or du CNRS (1965), Prix Nobel de Physique (1970), Grande Médaille d’Or de l’Electronique (1971), Grande Médaille d’Or de la Société d’Encouragement pour la Recherche et l’Invention (1973).

 

Bibliographie

Nguyen Khac Nhan - Réception au Château du Centre d'Etudes Nucleaires de Grenoble. Réception à la Houille Blanche à Paris, Revue IEG- EIH-IRG-MAG, Paris juillet-aout 1961.

Serge Colombo - L'Ecole Supérieure d'Electricité de Saigon et le Centre National Technique de Phu Tho, Revue IEG-EIH-IRG-MAG, Paris mai 1962.

Louis Néel : Discours au banquet de Stockhohm. Cérémonie de remise du Prix Nobel de Physique, 10 decembre 1970.

The Nobel Prize in Physics 1970, Biography Louis Neel , Nobelprize.org.

Louis Néel : carrière , oeuvres et distinctions (bibliographie).

Louis Néel, Oeuvres scientifiques, édition du CNRS, 1978.

J.-F. Picard , E.- Pradoura - Entretien avec Louis Neel, Meudon 4 juin 1986.

Dominique Pestre- LouisNéel et le magnétisme à Grenoble. Récit de la création d'un empire dans la province française 1940-1965. CNRS , avril 1990.

Louis Néel, un siècle de Physique, édition Odile Jacob, Paris 1991.

Louis Neel : Grenoble, Metropole des Sciences- Entretien avec Louis Neel, 1995. Editions Glenat 1997.

Nguyen Khac Nhan - L'INPG et les Instituts Polytechniques vietnamiens : une coopération exceptionnelle, L'ingénieur moteur de la formation, Les éditions des Vignes et l'éditeur, 2001.

Bernard Barbara - L'oeuvre de Louis Néel, Hommage à Louis Néel, Grenoble 31 mai -1er juin 2001.

Daniel Bloch- Hommage à Louis Néel, Grenoble 31 mai - 1er juin 2001.

Michel Soutif- Hommage à Louis Néel, Grenoble 31 mai -1er juin 2001.

Eric Robert - Louis Néel et la formation des ingénieurs à Grenoble, Grenoble 31 mai – 1er juin 2001.

Roger Moret , Eric Robert – Louis Néel et les industriels, Grenoble 31 mai-1er juin 2001.

Nguyen Khac Nhan – Coopération scientifique et technique franco-vietnamienne, la formation des ingénieurs et docteurs, Doan ket , Paris septembre 2001.

Hubert Curien - Louis Neel , bâtisseur , Grenoble 24 novembre 2004.

Anne Dalmasso- Le developpement scientifique de Grenoble et son impact, Grenoble 24 novembre 2004.

Ph. Nozieres – Louis Néel, un prix Nobel hors du commun , manifestations du centenaire de la naissance de Louis Néel , Grenoble 24 novembre 2004.

Eric Zamaï- PFIEV, 10 ans dejà. A savoir, Grenoble INP, 11 decembre 2009.

Michel Destot, 40 ans après le prix Nobel de Louis Néel. Colloque en hommage à Louis Néel à l'Hôtel de Ville de Grenoble, 21 octobre 2010.

 

Historique des Ecoles d'ingénieurs de Grenoble :

1900 – Institut Electrotechnique de Grenoble ( IEG )

1910 – Institut Polytechnique de Grenoble ( IPG )

1970 – Institut National Polytechnique de Grenoble ( INPG ) ( 9 Ecoles d'ingénieurs et un Département )

2008 - Grenoble INP ( Grand Etablissement de statut public - Regroupement en 6 Ecoles :

Ense3 ( énergie, eau, environnement )

Phelma ( physique , électronique, matériaux )

Ensimag ( informatique, mathématiques appliquées et télécommunications )

Génie industriel ( conception de produits ou services, gestion de production-logistique)

Esisar ( systèmes avancés et réseaux )

Pagora (sciences du papier, de la communication imprimée et des biomatériaux ) Chiffres clés actuels de Grenoble INP : 5200 étudiants dont environ 800 doctorants, 1100 diplômes d'ingénieurs et 200 docteurs par an, 26 grands laboratoires dont 6 internationaux, 22 filières métiers, 1100 enseignants, chercheurs, administratifs et techniciens.

 

 

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